Protestations, sit-in et blocages de routes à cause de l’eau. On sait que chaque année à pareille période, les contestations et les revendications pour un accès équitable à l’eau ont lieu. Qu’a-t-on fait depuis l’année dernière pour assurer un approvisionnement en eau potable de bonne qualité dans toutes les régions durant cette période estivale qui connaît un pic de consommation ?
Rien ! Certes, à l’occasion de l’Aïd El-Idha, la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede) a appelé, les citoyens à rationaliser leur consommation en eau et à reporter les usages secondaires après 16h00.
« L’objectif étant de limiter les fortes demandes en eau, particulièrement avec la hausse des températures », souligne la Sonede dans un communiqué.
Mais ce genre de communiqué n’est pas en mesure de calmer les ardeurs des citoyens dans les régions touchées par les « coupures » telles qu’à Béja où la route la reliant à Téboursouk au niveau d’Aïn Melliti a été bloquée par des citoyens en signe de protestation contre les coupures successives d’eau et son faible débit. Ou encore à La Mornaguia où les entrées et les sorties de la ville ont été bloquées pour revendiquer la reprise de l’approvisionnement en eau à partir du barrage Béni Mtir sans la mélanger avec celle provenant de la station de traitement de Ghdir El Golla. Des perturbations et une coupure dans la distribution de l’eau potable ont également été enregistrées dans les délégations de Kébili-Nord et Kébili-Sud.
Mais étant donné la gravité de la situation où ces formes de manifestations ont donné parfois pris des tournures criminelles, un Conseil ministériel consacré au suivi de la situation de l’eau potable a été tenu hier à La Kasbah durant lequel l’accent a été mis sur l’impératif de fournir des prestations d’approvisionnement conformes aux normes et d’accélérer les projets de la société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede) afin de répondre aux attentes des citoyens.
Certes, le Chef du gouvernement a appelé à garantir une eau potable de bonne qualité à tous les citoyens, mais concrètement, la tâche ne sera pas facile et la Tunisie aura à revivre dans les années à venir les mêmes scénarios non seulement en été mais aussi en hiver.
En effet, dans un rapport publié en août 2019, le coordinateur général de l’Observatoire tunisien de l’eau, Alaa Marzouki, a indiqué que la vétusté des réseaux de distribution de l’eau est à l’origine des 112 coupures enregistrées durant les jours de l’Aïd et qui ont touché 105 mille abonnés (en 2019). La détérioration de ces réseaux aurait entraîné la perte de 25 à 30% de quantités d’eau distribuées, a-t-il ajouté, soulignant que le ministère de l’Agriculture a chargé la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux de renouveler ses infrastructures, en mobilisant ses propres ressources, ce qui n’est pas envisageable, en raison des difficultés financières de la société.
Et même si le financement demeure le principal obstacle que rencontre la Sonede, pour renouveler son réseau, les problématiques demeurent aussi liées à l’absence d’une stratégie nationale «clairvoyante» de gestion des ressources hydriques car à quoi servirait une mobilisation des nouvelles ressources en eau qui seront injectées dans des réseaux vétustes ?
Bien qu’il soit urgent que la Sonede entame la modernisation de ses infrastructures, le développement de ses modes de gestion et d’intervention et la réalisation des projets structurants, ce ne serait qu’un simple coup d’épée dans l’eau si on n’élabore pas une stratégie à long terme susceptible de garantir la sécurité hydrique dans un pays menacé par l’accroissement des besoins en eau, en raison de la croissance démographique, de l’aggravation du phénomène de raccordement anarchique aux réseaux, d’une exploitation intensive de ses nappes phréatiques à travers la création de plusieurs grands barrages, lacs collinaires, outre le sondage de puits.
Qu’attendons-nous, dès lors, pour élaborer la carte des ressources hydriques ? Pour revoir le système d’exploitation d’une manière radicale et pour adopter de nouvelles orientations pour la rationalisation de la consommation et l’exploitation d’autres nappes non mobilisées jusqu’à présent ? Ou pour la réalisation d’une banque de données sur les ressources hydriques en Tunisie (eaux de surface et eaux profondes) ainsi que pour l’instauration d’un système d’information géographique numérisé facilitant la prise de décision et la gestion de l’exploitation des eaux ? Nos ancêtres étaient-ils plus conscients en matière de gestion de cette précieuse ressource ? Il suffit de revisiter l’histoire de l’eau en Tunisie, depuis les vestiges découverts à El Guettar, en passant par la maîtrise de l’eau à l’époque punique et la période de l’Afrique romaine, les thermes d’Antonin, les citernes, les aqueducs de Zaghouan à Carthage et le Temple des eaux, les bassins des Aghlabites et le système d’irrigation et de la régulation de l’eau d’Ibn Chebat, pour appréhender son importance et les équipements développés pour sa sauvegarde. En attendant de voir le nouveau gouvernement, qui sera issu des prochaines élections législatives, accorder une priorité à cette question vitale de sécurité hydrique, tendons les mains vers le ciel pour une prière rogatoire (istisqa) !